2001-11-01 Présumée unique
 Marc Pelletier
Canular, hypothèse ou quasi-certitude ? Voilà quelques questions que vous vous posez sans doute, en lisant le titre de cet article.
Dans la vraie vie, c'est un fait que les pièces présumées uniques ne se trouvent pas dans les marchés aux puces. Mais qui sait .... ? le récit qui suit peut aussi vous convaincre du contraire.
Il va de soi que les pièces canadiennes ou américaines présumées uniques s'offrent à des prix faramineux sur les marchés nord-américains et mondiaux. Toutefois, avec un peu de patience et d'information, il est plus réaliste de penser découvrir de telles pièces, à prix abordables, si elles proviennent de pays moins scrutés par les collectionneurs.
Avant de vous parler plus en détail de l'une de ces pièces, je vais tenter d'aiguiser votre intérêt en vous décrivant brièvement son lien avec l'Histoire. Ce récit, à mon point de vue, donne à cette pièce encore plus de mystère et d'éclat.
En AH1276 / 1859 AD, les Espagnols envahirent le nord du Maroc et s'emparèrent de la ville de Tétouan. Après quelques mois d'occupation de cette partie du pays, suite à un traité de paix signé entre l'Espagne et le Maroc, les Marocains purent récupérer leur ville et leur territoire moyennant une compensation monétaire équivalente à plusieurs millions de dollars. Pour ce faire, le sultan Mohamed 4 dut consentir à vider le Trésor Public marocain : les pièces anciennes d'or et d'argent furent fondues à cette fin et le pays s'en trouva alors complètement ruiné.
Mohammed 4, ayant accédé au trône l'année même de ce conflit avec l'Espagne, hérita pour ainsi dire d'une situation financière très précaire et, contrairement à son prédécesseur, il ne disposait plus du métal de base nécessaire pour continuer la frappe des petites pièces d'or de 3.5g nommées «bunduqi».
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«Bunduqi» AH 1284, Fez |
Cependant, voulant sans doute préserver une coutume séculaire, comme il était d'usage même du temps des Romains, il fit toutefois frapper quelques rares «bunduqi» au cours de son règne. En effet, dans le Corpus des Monnaies Alawites de M. Daniel Eustache, publié par la Banque du Maroc en 1984, il est fait mention d'une frappe de pièces d'or tout à fait exceptionnelle sous le règne de Mohammed 4 (AH 1276-90 / 1859-73 AD). Au moment de la publication de ce corpus, on n'avait pu retrouver qu'une seule pièce datée de AH 1284 *, faisant partie de la collection de la Banque du Maroc et une autre datée de AH 1286 qui aurait été vue par un collectionneur de renom, dans la médina (vieille ville) de Marrakesh. Il s'agissait donc, pour chacune de ces deux dates, de pièces présumées uniques.
Au cours de la présente année, j'ai eu l'heureuse surprise de découvrir, sur une liste à prix fixe d'un marchand de Vienne (Autriche), un troisième «bunduqi» **, daté du début du règne de Mohammed 4, soit en l'an AH 1277 / 1860 AD. Compte tenu que cette pièce fut frappée à l'atelier de Fez, tout comme celles de AH 1284 et 1286, compte tenu de plus que des dirhams en argent furent aussi frappés dans cet atelier au cours de cette même année et compte tenu que cette pièce répond en tous points aux caractéristiques de ce type de frappe, j'ai acquis la quasi certitude que cette pièce pouvait être classée «Présumée unique».
Cette pièce, hors du commun, témoigne d'une façon fort éloquente d'une page marquante dans l'Histoire du Maroc et constitue en quelque sorte un joyau numismatique de la Dynastie des Alawites.
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«Bunduqi» AH 1277, Fez
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