1999-01-01 Nouvelles tendances
Claude Bélanger
Des changements effectués récemment par la Société canadienne des Postes auront prochainement de grands effets sur la philatélie.
Tous les philatélistes savent qu'il était possible de trouver beaucoup de timbres neufs récents (1950+) à la valeur nominale, sinon en bas de la valeur nominale si on en achetait une quantité importante. On trouvait ces timbres couramment dans les expositions philatéliques et au Club de Boucherville entre autres, et souvent sans que les taxes soient réclamées. Les philatélistes obtenaient donc plusieurs des timbres de leur collection à un prix moindre que celui réclamé par le bureau de poste (nominal + taxes). D'autres philatélistes avisés achetaient tous les timbres dont ils avaient besoin pour leurs envois postaux dans les expositions philatéliques, ou au club lors de nos réunions mensuelles. Ils épargnaient ainsi entre 15-25% des coûts postaux.
Ces timbres à rabais provenaient de deux sources principales: d'abord de la surabondance des émissions qui ont caractérisé le Canada entre 1952 et 1994. Le nombre d'émissions annuelles dans cette période a augmenté de façon constante et, surtout, les tirages ont toujours été exagérés, parfois démentiels. Ainsi, par exemple, la bernache du Canada [#320] a été tirée à 161,820,000 exemplaires; il ne faut pas s'étonner que l'on puisse encore en retrouver à la valeur nominale. En général, les émissions des années 1950 ont été tirée à au moins 50,000,000 d'exemplaires. Les timbres des décennies 60 et 70 ont été émis à 25,000,000 en moyenne; ceux des années 80 et 90 à 15-20,000,000. Ce sont là des tirages beaucoup plus considérables qu'en France qui a pourtant une population de presque le double de celle du Canada et dont les beaux timbres sont collectionnés partout dans le monde.
A la surabondance des émissions et des tirages, il faudrait ajouter, pour compléter ce premier facteur, la spéculation effrénée qui a marqué la philatélie canadienne au cours des années soixante-dix et début des années quatre-vingt. Comme les catalogues philatéliques indiquaient, chaque année, une augmentation significative de la valeur des émissions, les spéculateurs se mirent à accumuler des quantités importantes de feuilles, espérant faire des profits importants "pour leurs vieux jours". On sait ce qui est arrivé. Lorsque les problèmes économiques du début des années quatre-vingt devinrent chroniques, ces spéculateurs essayèrent de vendre leurs paquets de feuilles. Mal leur en prit puisqu'ils ne purent obtenir que 70%, voire 60%, de la valeur nominale de leurs timbres. Il nous aura fallu près de quarante ans pour absorber les surplus des émissions des années cinquante et soixante, et vingt ans pour résorber la spéculation des années soixante-dix et début quatre-vingt. Tous les marchands savent qu'il n'y a plus de surplus de timbres "en bas de la face" sur le marché; vous les verrez disparaître rapidement de la table des marchands. Il est à noter que personne n'a spéculé sur les timbres des années quatre-vingt-dix puisque les valeurs nominales étaient trop élevées.
La deuxième source de timbres vendus moins chers par les marchands que le bureau de poste est, paradoxalement, le Ministère des Postes. La déréglementation et la décentralisation des postes canadiennes, dans les dernières années, ont mené à l'ouverture de comptoirs postaux dans des commerces, genre Jean Coutu. La Société canadienne des Postes vendaient ses timbres aux dépanneurs et aux comptoirs postaux commerciaux (de même qu'à certains marchands de timbres) à 15-17% en bas de la valeur nominale. Ces comptoirs revendaient souvent ces timbres à des individus ou commerces à 10% en bas de la valeur nominale. Ils le faisaient d'autant plus que si leur chiffre d'affaire dépassait $250-300,000 annuellement, la Société des postes leur payait un bonus considérable. Ils avaient donc intérêt à vendre des timbres en bas de la valeur nominale. Il va sans dire que plusieurs de ces timbres finissaient sur les tables des marchands de timbres, au ravissement des collectionneurs, à la valeur nominale, donc moins cher qu'a bureau de poste où on réclame invariablement le paiement des taxes.
Depuis le mois de décembre 1998, les marchands, dépanneurs et comptoirs commerciaux ne bénéficient plus que d'une réduction de 5% sur la valeur nominale! Il ne leur sera donc plus possible de vendre des quantités de timbres à rabais. Il est à prévoir que les timbres récents à la valeur nominale disparaîtront des tables des marchands de timbres et que les collectionneurs qui n'auront pas acheté leurs timbres récents au bureau de poste devront payer une surprime pour les obtenir chez les marchands. Je prévois que le prix de vente des timbres récents canadiens va s'approcher graduellement de leur valeur au catalogue.
La convergence des deux facteurs que j'ai décris ci-haut, va donc changer des habitudes chez les philatélistes et leur occasionner des déboursés supplémentaires. A court terme, cela va sûrement désoler les collectionneurs; cependant, à long terme, cela sera certainement bénéfique à notre passe-temps puisque les timbres à rabais, qui causaient une dépression constante du marché des timbres, vont maintenant disparaître, on peut s'attendre à ce que la valeur de nos timbres de collection augmente dans le futur. Une mauvaise nouvelle, à court terme, pourrait donc avoir des effets favorables à long terme!
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