2004-03-01 Juba II [1]
Marc Pelletier et Sergio Rossi
Histoire
Après la prise de Carthage en 146 av. J.-C., qui marqua la fin de la troisième guerre punique, l’emprise de Rome sur le nord de l’Afrique fut concrétisé. Par la suite, les rois berbères ( chefs de guerre ) jouèrent généralement la carte de l’alliance romaine : les royaumes de Maurétanie et de Numidie, que l’on peut définir comme des protectorats de Rome ( indépendance dans l’interdépendance ), furent administrés occasionnellement par des fonctionnaires romains.
Toutefois, Juba I , roi de Numidie de 68 à 46 avant J.-C., eut le tort de prendre parti du côté de Pompée dans sa révolte contre César : il fut battu par ce dernier à Thapsus en 46, et il se suicida. Son fils Juba , alors âgé de quatre ans fut emmené captif à Rome où César le présenta à la foule comme signe de son triomphe.
Ce tout jeune enfant, descendant à la fois de Jugurtha et de Bocchus 1ier , fut confié à Octave, petit neveu de Jules César. Juba reçut alors, en Italie, une éducation distinguée et, compte tenu du fait qu’il était sans fort doué, il s’appliqua rapidement aux études à tel point qu’il devint, au fil des ans, un des hommes les plus instruits de son temps.
Il est bien connu qu’Octave forma avec Antoine et Lépine, en 43 av. J.-C., le second triumvirat. Cependant, Antoine répudia Octavie, la sœur d’Octave pour épouser Cléopâtre, reine d’Egypte. Par la suite, Antoine se brouilla avec Octave et il fut vaincu par ce dernier à la bataille navale d’Actium, en 31, à laquelle Juba participa dans les rangs de l’armée d’Octave. Finalement, assiégé dans Alexandrie, Antoine se suicida. La légende veut que Cléopâtre se soit aussi donné la mort par piqûre de serpent, peu de temps après ces événements
Devenu César Auguste en 27 avant J.-C., et en récompense pour sa contribution à la bataille d’Actium, Octave restitua à Juba, dans un premier temps, le royaume de son père et il l’établit roi des deux Maurétanies en 25 A.C.
De plus, en 20 av. J.-C., Auguste lui donna comme épouse, Cléopâtre Séléné ( fille de Marc Antoine et de la célèbre Cléopâtre ): Juba avait été subjugué par sa beauté . De cette union naquit Ptolémée qui co-régna avec son père en 21 D.C. et lui succéda après sa mort en 23 D.C..
Juba II et Cléopâtre Séléné introduisirent l’architecture grecque et l’art dans le nord de l’Afrique et conduisirent le royaume à la force et à la prospérité.
Roi de la Maurétanie, Juba II fit d’Iol une grande capitale qu’il mit sous le patronage de l’empereur en l’appelant «Caesarea», actuelle Cherchel en Algérie. De fait, il resta fidèle pendant toute sa vie aux liens étroits qui s’étaient tissés entre lui et l’empereur de sorte que, lorsque certains Maures se soulevèrent pendant la révolte des Numides, Juba II ne put faire autrement que d’apporter son appui aux romains.
Même s’il était en étroite dépendance de Rome et qu’il ne fut souverain que de nom, il réussit, ce qui est tout en son honneur, à maintenir la paix en Maurétanie pendant les quarante-huit ans de son règne.
Juba II s’efforça de créer un climat favorable à l’épanouissement de son peuple: grand admirateur de Périclès l’Olympien, qui fit de sa patrie la Démocratie modèle, il voulut gouverner la Maurétanie à son image. Les méthodes démocratiques de son gouvernement lui valurent la faveur de ses sujets, et ses grandes qualités, l’estime des nations étrangères . En lui érigeant une statue dans son gymnase, Athènes rendait ainsi hommage à Juba II, le Roi Afiicain.
Sous son règne, la ville de Tipaza, fondée par les Phéniciens en 814 av. J.-C., connut son véritable essor : Juba II en fit le prolongement de «Caesarea» et y fonda un véritable foyer d’art et de culture Greco-Romaine.
Volubilis, située dans l’actuel Maroc, fut sans doute la deuxième capitale de Juba II, si l’on tient compte du grand nombre de bronzes et de mosaïques de qualité, datant de cette époque, qui y furent découverts. Le « Chemin du roi «, constitué d’un chapelet de vallées entre ses deux capitales, permit à Juba II, pendant tout son règne, de réunir sous un même sceptre la Maurétanie intérieure et extérieure, c’est-à-dire les trois quarts de l’Algérie et le Maroc. C’est d’ailleurs ce même «chemin» que Jugurtha, roi des Numides, suivit en 106 av. J.-C. , en se réfugiant chez le roi des Maures, Bocchus 1ier , pour échapper aux légions de Marius.
D’autre part, c’est grâce aux ports, notamment celui de Lixus sur la côte atlantique, que la Maurétanie put fournir à Rome de grandes quantités de céréales, d’huile d’olive et de garum . De plus, Juba II explora les îles « Fortunées « ( les Canaries ) et il fit de l’ancien comptoir punique de Tumisiga ( Essaouira ) un des trois centres mondiaux de production de pourpre, extraites des îles dites depuis Purpurines. Hélas, cette pourpre causa indirectement la fin tragique du fils de Juba II, Ptolémée qui, à l’occasion d’un voyage, en 40 ap. J.-C., eut le tort de se présenter à une réception vêtu de pourpre, à l’égal de l’empereur. Sur l’heure, Caligula le fit assassiner.
Toutefois, c’est dans les arts que Juba II laissa véritablement sa marque: doué de la finesse propre à sa race, ce Numide, imprégné par le raffinement des plus hautes cultures punique, hellénistes et romaines, fut en quelque sorte une vivante synthèse, en ce lieu carrefour . Il sut s’entourer de savants, d’artistes et de poètes dans ses palais de Caesarea et de Volubilis et ramena de ses voyages une vaste bibliothèque et les copies des meilleures sculptures du « Siècle de Périclès «, de l’école de Myron et de Polyclète, de Phidas et de Praxitèle .
C’est cependant par ses écrits que Juba II fut particulièrement mémorable: il connaissait très bien l’histoire de son pays et même celle de d’autres peuples. Il est cité comme historien dans des traités d’histoire, tant grecs que latins. Il écrivit aussi sur des sujets aussi divers que la géographie, le théâtre et la peinture; malheureusement, son œuvre, dont peu de fragments sont encore présents, est perdue à jamais. Juba II est vu comme le principal guide de Pline l»Ancien, 23 D.C. à 79 D.C., sur la zoologie et la botanique: ceci peut expliquer le fait que plusieurs siècles plus tard, un palmier fut nommé « Jubaea chilensis « en son honneur.
Les historiens ainsi que les numismates affirment que les monnaies sont de précieux témoins de l’Histoire. En effet, il faut reconnaître que leur rôle va beaucoup plus loin qu’une présence passive : comme nous l’avons souligné dans la page d’histoire, les livres se détruisent ou se perdent au fil des ans alors que les pièces, par leur capacité à survivre à l’usure du temps, nous livrent, lors d’études attentives, de précieux éléments qui permettent une meilleure compréhension de l’Histoire. Dans un premier temps, nous aborderons quelques particularité des monnaies de la Numidie ( pays d’origine de Juba II) , pour ensuite décrire plus en détail les principales caractéristiques des monnaies produites sous son règne.
Têtes des rois
Par une étude comparative de la physionomie des portraits des rois de Numidie (voir photos à la page suivante), qui sont d’ailleurs les ancêtres de Juba II, Müller tire la conclusion que ces rois sont issus de la race blonde. De plus, le fait que « Mas « par lequel débutent beaucoup de noms de princes ( ex. Masinissa ) et de chefs numides, noms que portent aussi les hommes blonds qui représentent les Libyens sur les monuments, plaide aussi dans le même sens. De plus, tous ceux qui ont fait un séjour prolongé en Algérie et au Maroc s’accordent sur le fait que les Kabyles blonds offrent une ressemblance frappante avec les habitants des pays septentrionaux d’Europe.
Frappe de monnaies
Deux systèmes monétaires ont eu cours en Numidie et en Maurétanie pendant la période qui débute avec Masinissa ( 204 av. J.-C. ) jusqu’à la fin du règne de Ptolémée ( 40 apr. J.-C. ): en premier lieu, le système phénicien pour les premiers règnes et ensuite le système romain qui s’implanta d’une façon permanente sous le règne de Juba I. Le système phénicien comptait cinq espèces pour les monnaies d’argent dont le poids s’échelonnait de 1.6 à 14.6 gr., alors que le système romain ne comprenait que trois espèces dont les poids se situaient entre 0.7 et 4.2 gr.
La frappe sous les premiers rois numides et mauritaniens était surtout constituée d’un monnayage de bronze. Comme la valeur accordée à ces pièces n’était pas en rapport avec le prix du métal, ces monnaies présentent une grande irrégularité de poids : c’était donc moins par la pesée que par les types et les modules qu’on distinguait les différentes espèces. D’autre part, les monnaies en argent n’apparurent qu’assez tardivement, soit à l’époque de Jugurtha (118-106) et d’Hiempsal ( 106-60 ). La frappe d’or fut exceptionnelle car on ne connaît que deux pièces numides pesant 7.5gr., issues du système phénicien. Ces monnaies sont d’ailleurs attribuées à Hiempsal par Jean Mazard, en tenant compte à la fois de leur style et de leur type.
Seulement deux monnaies d’or ( # 297 et 298 ) ont été classifiées par Mazard comme appartenant à Juba II. Il faut souligner qu’elles sont aussi rares que celles d’Hiempsal. Même si elle ne sont pas datées, le nom de Cléopâtre, apparaissant au revers, situe ces pièces dans les trente premières années du règne de Juba II.
La # 297 est aussi répertoriée dans Brethes au # 281. Cette monnaie unique, découverte en 1930 à Cherchell, en Algérie, et qui fait partie de la collection de la Banque du Maroc à Rabat, pèse 3.3 gr. et a un diamètre de 15mm. Mazard a émis l’hypothèse que cette pièce fut frappée à l’occasion du mariage de Juba II.
La # 298, elle aussi unique, pesant 6.6 gr. et mesurant 19 mm de diamètre, se trouve au Musée des Antiquités de Rabat. Le côté droit présente le buste de Juba II , et le revers un serpent naja ( Uraeus ) au centre, au-dessus duquel figure le symbole d’Isis. Cette présentation semble souligner la déification de Cléopâtre.
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